Bob Morane
Du 31 octobre au 3 novembre 2012 / Village de Chi Phat / Région des Montagnes des Cardamoms
Le Cambodge est un pays largement constitué de forêts et de jungles. Economiquement ravagée par des décennies de guerre civile, la population rurale en est arrivée à exploiter illégalement cette richesse écologique : incendies de forêts afin de gagner de la place pour les cultures et braconnage de la faune sauvage grâce aux juteux marchés chinois et vietnamiens.
Impossible pour le gouvernement Cambodgien, rongé par la corruption, de lutter contre ces désastres. Au contraire ! Il préfère accorder, sur fonds de pots-de-vin, d'importantes concessions forestières à des compagnies étrangères.
C'est donc aux ONG de se charger du boulot ! C'est ce que fait Wildlife Alliance dans le village de Chi Phat, dans le sud ouest du pays. Arrivée en 2007 sur le terrain, l'organisation a créé à Chi Phat une base d'écotourisme. L'objectif : reconvertir les habitants dans les métiers de l'éco-tourisme afin de préserver la forêt et la vie sauvage de la région, et faire bénéficier la communauté (550 familles) des retombées économiques de l'activité touristique. De nombreuses petites guesthouses et homestays ont vu le jour, et d'anciens braconneurs se sont reconvertis en guides afin d'emmener les visiteurs dans les inhospitalières jungles cambodgiennes !
Ce n'est pas à Chi Phat que nous dépose le bus. Aucune route digne de ce nom n'y passe. Nous descendons donc à Andoung Tuek, et nous voilà partis pour une bonne demi heure de rodéo à 2 roues sur une piste poussiéreuse. S'ensuit une petite rivière à traverser en bac, et nous pénétrons dans le village.
40 minutes de moto'dop et une traversée de bac après...
... nous arrivons à Chi Phat, éco-village !
Nous le traversons, les yeux grands ouverts. Ce n'est pas une vie rurale telle qu'on l'imagine qui se déroule sous nos yeux, c'est une véritable communion avec la nature. Coincées entre fleuve et forêts, la plupart des maisons sont en bois, et sur pilotis. Le fait de construire en hauteur permet un gain de place (l'espace au sol est toujours utilisé) et minimise les chances de se retrouver avec plein de bébéttes peu avenantes dans la maison. L'atmosphère est paisible, sans doute aussi un peu écrasée par l'intense chaleur humide. Entre 2 pilotis fleurissent des hamacs, élément indispensable à la vie sous cette chaleur!
Nous rejoignons l'association qui répartit harmonieusement les aventuriers en herbe dans les guesthouses. Parmi les visiteurs, un sujet de conversation s'impose : les sangsues, très présentes dans la région. Lucy se demande si la visite du village ne suffirait pas à notre bonheur ! Après avoir avalé un morceau et finalement booké notre petite escapade des 2 prochains jours au pays des "leeches", nous prenons nos quartiers. Si le confort est sommaire, la propreté est irréprochable. 3 petites chambres sont tenues par cette famille. Nous sommes les seuls occupants. Quelques autres touristes sont présents dans le village, mais globalement, ce n'est pas la grosse affluence. Le soir venu, nous dînons avec Clément et Alice qui reviennent d'un trek de 3 jours dans la jungle. Et si le courant entre nous passe tout de suite ce qui permet d'aborder des tas de sujets, il y en a un que nous n'évitons pas : les sangsues ! Lucy veut être rassurée. Elle ne le sera pas ! Alice lui fait comprendre qu'elles sont à la limite de gâcher la ballade.
Le lendemain, à 6h, nous voilà partis pour 3 heures en barque, le temps nécessaire pour rejoindre les sentiers qui s'enfoncent dans la jungle. Nous n'emportons que peu d'affaires avec nous : un hamac avec moustiquaire, une veste de pluie, un t-shirt de rechange, et un répulsif anti-moustique.
Lever de soleil sur Preak Piphot, la rivière de Chi Phat.
Au cours de la ballade, nous avons pu observer de grands oiseaux, de singes et de grands écureils. Mais pas les prendre en photo !
Dès que nous débarquons, notre jeune guide nous demande de nous asperger chaussures et jambes d'un produit "made in chi phat" qui laisse d'étranges traces noires sur notre peau. Il est censé repousser les sangsues. Après seulement quelques minutes de marche, force est de constater qu'il ne repousse rien du tout ! En cette zone humide de la jungle, l'ascension de nos gambettes par ces espèces de vers de terre accrocheurs suceurs de sang ne fait que commencer. Des arrêts fréquents sont indispensables pour les décrocher de nos chaussures, chaussettes et pantalons à l'aide d'un bout de bois taillé. Très vite on ne pense plus qu'à ça, de peur qu'elles atteignent la peau. Ce qui serait visiblement sans grande conséquence, nos 2 guides étant en sandales et pantacourt ! Les araignées ne nous effraient plus, les serpents, on s'en balance, qu'un tigre se pointe, et nous serions encore les yeux rivés sur nos chaussures à l'affût de la moindre sangsue baladeuse ! Il faut dire qu'une fois qu'elles sont accrochées, il est non seulement difficile de les décrocher du tissus, mais nous assistons en plus à leur tentative de pénétration à travers les fibres de nos vêtements. Spectacle peu ragoutant ! Lucy est au bord de la crise de nerf. Quand il y en a une qui atteint sa main, toute autre forme de vie dans un périmètre de 2 mètres autour d'elle n'a qu'à bien se tenir. Gestes de nervosité, d'écoeurement face à ces bestioles assoiffées de notre sang. Le risque d'en oublier les autres dangers de la jungle nous guette. Lulu effectue une chute impressionnante en glissant sur une pierre humide. Tout de suite, la peur du bras cassé surgit dans mon esprit et dans de celui des 2 guides. Pas dans le sien ! Aussitôt tombée, aussitôt debout, à ausculter les moindres recoins de ses vêtements, à la recherche de la sournoise sangsue !
Le tee-shirt dans le pantalon, le pantalon dans les chaussettes, on ferait tout pour échapper aux sangsues!
En plus du stress engendré par ces bestioles, notre corps est mis à rude épreuve par l'intense chaleur qui sévit : à 10 heures du matin, les 40 degrés ne sont pas loin. L'humidité élevée rend parfois l'atmosphère irrespirable. De plus, dans un environnement sauvage comme celui-ci, de nombreux obstacles se dressent en travers de notre route : pierres glissantes, branches d'arbres, troncs d'arbres arrachés gisant au milieu du chemin... Une vigilence continue, et pas seulement envers les sangsues, s'impose. Nous approchons de midi et arrivons en bordure d'une rivière : une zone enfin hospitalière ! Pause baignade et pause déjeuner pour se requinquer. L'occasion de constater que je me suis fait attaquer la cuisse ! J'arrache la bestiole, et le sang coule. Saloperie!
Petite baignade en pleine jungle.
La forêt et le village regorgent d'énormes papillons.
En début d'après midi, épuisés, transpirants, mais soulagés d'arriver, nous atteignons le camp où nous allons passer la nuit. Le temps de passer des habits secs et nous plongeons dans un profond sommeil pendant 2 heures.
Peu après notre réveil, un groupe de 11 Britanniques débarquent dans le camp. Ils effectuent un trek de 5 jours dans la jungle dans le cadre d'une action de promotion d'une association de lutte contre le cancer. Certes, leur préparation n'est pas comparable à la nôtre : ils sont entourés de 3 guides très professionnels : 1 Cambodgien connaissant parfaitement la région plus 1 Thaïlandais et 1 Britannique travaillant dans le giron de leur association et de 6 motards qui leur amènent leur matériel à chaque point de chute. Ils sont en plus équipés de longues chaussettes blanches montant jusqu'au genou ce qui permet de répérer facilement les sangsues. Enfin, ils aspergent leurs chaussures d'un produit fabriqué par leur guide et qui s'avére très efficace pour endormir notre plus intime ennemi commun. En effet, les conditions de trek ne sont pas les mêmes. D'ailleurs, leur moral est au beau fixe, tandis que leur petite balade touche à sa fin. Malgré cette fine préparation, voilà un groupe qui force le respect. Agés de 16 à .... 74 ans (!!), ils s'avèrent en plus fort sympathiques ! Leur guide Britannique me désinfecte la jambe atteinte de 2 autres morsures ! Leur guide Cambodgien nous fait don de son produit miracle : un mélange de tabac, de sel et de "paic citron" dans une bouteille en plastique. Au passage, notre guide se fait engueuler pour nous avoir aspergé de son produit, parait-il toxique ! Il lui est rappelé de ne surtout pas en donner aux touristes ! Parfait !
Blessures de jungle !
Les hammacs de l'armée US avec moustiquaire intégrée, c'est top !!
Les guides nous préparent un dîner... aux chandelles !
Après une fraîche nuit fatale pour mes sinus dans notre hamac avec moustiquaire, nous repartons. Le jour est à peine levé, le plat de nouilles et le café avalés, et l'espoir combiné de trouver un terrain plus sec et que le produit soit efficace pointe le bout de son nez dans nos esprits. Puis se réalise ! Les sangsues, moins nombreuses que la veille, sont complètement amorphes dès qu'elles atteignent nos chaussures. Nous arrivons enfin à apprécier les lieux. "Tiens, c'est joli la jungle finalement !" Les seuls sons qui nous parviennent sont les dialogues en chanson des nombreuses espèces d'oiseaux présentes. La végétation est impressionante. Tellement toufue, tellement luxuriante, tellement variée. Après quelques kilomètres, nous sortons de la jungle pour retrouver des paysages secs évoquant la savane. La chaleur est toujours terrible, mais sèche, donc plus supportable. Dans les derniers kilomètres, nous croisons des troupeaux de vaches cambodgiennes à la maigreur détonnante, puis des paysans au travail. Après 4 heures de marche, nous atteignons finalement Chi Phat.
Retour en terre séche, OUF !
Nous re-croisons des habitants, ce qui annonce une arrivée prochaine à Chi Phat.
Nous ne devons repartir que le lendemain matin. Nous bénéficions donc d'une demi journée de balade au sein du village. L'accueil se révèle franchement sympathique. Les sourires éclatants des enfants nous rappellent ceux de Madagascar. Des gosses de 5 ans capables de s'occuper tout seuls de longues journées durant, dans la bonne humeur, et en se bricolant des jouets avec tout ce qu'ils peuvent trouver à proximité. Nous croisons des gamines d'une agilité incroyable maniant habilement des vélos 10 fois trop grands pour elles, et n'oubliant surtout pas de nous gratifier d'un enthousiaste "hello". Des gamins adorables se précipitent vers nous et nous tendent en guise de bienvenue de petites fleurs cueillies sur leur passage. Cette jovialité enfantine, ces sourires et rires contrastant avec des conditions de vie rudimentaires, ces concerts de "hello", tout cela raisonne encore dans nos têtes.
Quelques photos des habitants de Chi Phat, qui adorent qu'on les photographie !!
Dans notre petite guesthouse, c'est l'heure de la cueillette des noix de coco. Le gamin grimpe à main nue la quinzaine de mètres de hauteur du tronc, puis balance les noix de coco de là- haut. Bien entendu, elles sont destinées à être vendues aux voisins, ou dans le petit marché. Bien entendu, dans un élan de générosité tout naturel, on nous en offre une chacun.
Ramassage des noix de coco façon locale ;)
Aussitôt tombées, aussitôt emportées !
Dans le village, des personnes âgées parlant quelques mots de Français hérités d'une époque révolue nous accostent. "Etes-vous mariés?" "Bien sûr!!!" "Avez-vous des enfants?" Cette fois, difficile d'esquiver ! "Ben non, pas encore". "Roooooo". Choc des cultures ! Et rires communicatifs des anciens très en verve pour nous raconter leur pays.
Nous serions bien restés quelques jours de plus à Chi Phat afin de profiter de cette joie de vivre et de cette douceur humaine. Mais dans le fond, peut être est ce dans le naturel des Cambodgiens ? Peut être n'est-ce pas propre à Chi Phat ? En tout cas, demain, changement de décor, changement d'ambiance, direction Phom Penh, la capitale du Royaume. Avec dans nos bagages, ces regards d'enfants que nous ne sommes pas prêts d'oublier.
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